Christian CHAVASSIEUX
("A Nos Pères" / Onabok éditions)

RETOUR A L'ACCUEIL...

Atteint par la maladie d'Alzheimer, mon père s'est éteint lentement. Eteint dans le sens où la lumière a quitté petit à petit son regard.
Après plusieurs tentatives pour raconter ce naufrage, j'ai souhaité m'attarder sur un symptôme, un détail révélateur : la taille des poiriers dans le jardin de mon père.

Un jour, mon frère, Jean-Pierre, est passé dans le jardin familial que mon père n'était plus capable de travailler. Papa, dont c'était le métier, y passait des heures. Ce jardin bien ordonné faisait l'admiration des hôtes de passage.

On fait donc un tour ensemble et mon frère, devenu lui aussi professionnel, s'arrête vers un des vieux poiriers stériles dont mon père s'était occupé naguère.
« Regarde, me dit Jean-Pierre, ils sont mal taillés. Normalement, les branches ne reviennent pas sur elles-mêmes. Et vu le nombre des ramifications, papa ne les taille plus comme il faut depuis des années. »
Jean-Pierre n'en dit pas plus, mais je comprends ce que cela signifie. La maladie a commencé son oeuvre il y a bien longtemps. Elle a grignoté silencieusement le meilleur de cet homme, depuis des années, sans qu'aucun de nous ne s'en aperçoive.
(...)
Six mois après son décès, tandis que je regardais le jardin, je me suis mis à brûler d'une colère inexplicable.
Je suis sorti, j'ai pris la hache...
Et puis j'ai cogné cogné cogné...
(...)
Les arbres tombés, le jardin m'a semblé incroyablement vide. Immense.
Puis j'ai senti sur moi le poids d'une impossible paix.